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Sur le terrain
02 mai. 23
La Réunion

“Porter la gestion de l’environnement comme levier de justice sociale”

Anthony a été coordinateur de projets pour l’association Analalava Tia Fandrosoana dans le nord-ouest de Madagascar de 2018 à 2021. Recruté par l'antenne de France Volontaires à La Réunion, engagé pour l'environnement et la préservation de la biodiversité, il a fait partie de la délégation de France Volontaires qui a participé au One Forest Youth Forum et au One Forest Summit à Libreville, au Gabon, en février dernier. Rencontre avec cet ancien volontaire de solidarité internationale, qui partage son expérience lors de cet événement international.

  • Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Anthony Bracke, j’ai 37 ans. Originaire du Nord de la France, j’ai effectué mon master 1 Biodiversité des EcoSystèmes Tropicaux (BEST) à l’Université de La Réunion.

Dans le secteur de l’écologie, les opportunités professionnelles se font rares. C’est pourquoi en 2015, avec d’anciens élèves de ma formation, nous avons décidé de créer une ONG. C’est ainsi qu’est née Opti’pousse Haie (OpH), notre structure qui offre un appui technique et financier à des associations de développement local à Madagascar.

Après avoir géré l’association bénévolement de 2016 à 2018, je me suis engagé en tant que VSI de 2018 à 2021 avec l’antenne de France Volontaires à La Réunion. J’ai été recruté en tant que volontaire en appui à l’association locale Analalava Tia Fandrosoana (ATF) qu’OpH soutenait.

En 2022, l’association ATF a souhaité voler de ses propres ailes. Ainsi, afin de poursuivre nos actions, une autre association (VAHATRA = Racine) a été créée. C’est cette association qui, à terme, devrait gérer l’Aire Marine Protégée à Gestion Communautaire d’Analalava au Nord-Ouest de Madagascar.

En parallèle, nous restaurons, ma femme et moi une tanety, (savane herbacée au sol mort, créée par la déforestation par le feu) en parcelle d’agroforesterie. A l’avenir, nous souhaitons également transformer des produits pour créer de la valeur ajoutée et des emplois. Cela nous permet d’être impliqués pour les changements sociaux et environnementaux de Madagascar.

L’Amour de ma femme, de mes contemporains et de la Nature m’ont incité à rester à Madagascar pour prolonger mon engagement volontaire.

 

  • D’où te vient ton engagement pour l’environnement ?

Durant le début de ma vie de jeune adulte, je me suis engagé en faisant du bénévolat dans les MJC pour faire de l’aide aux devoirs. J’y ai également fait plusieurs saisons d’animation en tant que salarié.

Il faut redéfinir les normes. Je ne me sens pas engagé pour l’environnement, je pense faire mon devoir de citoyen terrien. De la même manière on marginalise l’agriculture “bio”, alors qu’elle est normale et/ou naturelle et l’on parle d’agriculture conventionnelle pour un mode de production utilisant beaucoup de carburant et d’intrants chimiques…

Dans le cadre de mon travail, au-delà de la préservation du patrimoine naturel, j’essaie de porter la gestion de l’environnement comme levier pour la justice sociale… Ce n’est pas une mince affaire et cet engagement est complémentaire à d’autres actions menées par différents acteurs comme les entrepreneurs ou les organisations de la société civile.

 

  • Tu as été Volontaire de Solidarité International en tant que coordinateur de projet pour l’association Analalava Tia Fandrosoana à Madagascar de 2018 à 2021. Quel bilan peux-tu faire de ton expérience de volontariat ? Qu’est-ce que ta mission t’a apporté ?

Le VSI a été une excellente opportunité car il m’a permis d’œuvrer pendant 3 ans pour la réalisation de projets d’intérêt général. Bien qu’étant un engagement libre et désintéressé, le VSI m’a permis d’obtenir une expérience professionnelle forte. Il m’a également permis de m’intégrer dans une culture radicalement opposée à celle dans laquelle j’ai grandi. Cette intégration m’a permis de renforcer mon engagement et m’a donné la force de continuer à travailler dans ce projet qui est en train de porter ce fruit. Un consortium d’associations s’est créé pour répondre au Blue Action Fund, subvention européenne ayant pour but de créer des espaces marins protégés et/ou d’améliorer la gestion des espaces protégés déjà créés. Ce projet devrait commencer courant 2023.

Ce VSI a également été une bonne opportunité pour l’association locale car il a servi de cofinancement dans le cadre de demandes de subventions. Cela a permis à l’association de travailler sur la création d’une filière d’énergie durable basée sur la création de charbon à base de paille et sur de la sylviculture à visée énergétique.

 

 

  • Tu as fait partie de la délégation de France Volontaires pour participer au One Forest Youth Forum et au One Forest Summit à Libreville au Gabon en février dernier. Comment as-tu vécu cette expérience ?

Je tiens tout d’abord à remercier vivement France Volontaires et l’Ambassade de France à Madagascar de m’avoir permis de vivre une telle expérience. Ces forums m’ont permis d’améliorer mes connaissances sur les mécanismes de financements des crédits carbone et bientôt les crédits de biodiversité. J’ai pu y rencontrer divers acteurs économiques œuvrant pour l’environnement. La protection du climat passe par le domaine financier. Il est donc nécessaire de faire une veille des dispositifs financiers existants pour continuer à militer pour la préservation de l’environnement et y intégrer des concepts écologiques.

J’ai toutefois été choqué, car les notions de bien commun, d’intérêt général, de justice environnementale (et sociale), n’ont que très peu été abordées…

Les rencontres avec les réseaux de la jeunesse panafricaine m’ont particulièrement impacté. Voir des personnes motivées, engagées, militantes pour atteindre leurs objectifs de justice sociale et environnementale m’a redonné du baume au cœur et à renforcer mon engagement dans ce défi que doit relever notre génération. Bien que traitant de la gestion des forêts tropicales dans leur ensemble, les sujets étaient très majoritairement centrés sur le bassin du Congo. Toutefois, ayant exposé les difficultés que l’on rencontre avec les forêts tropicales sèches à Madagascar, les personnes travaillant dans le groupe sur la mise en place de programme de mobilités croisées ont validé le fait que ce programme devait être panafricain. Un grand merci à eux !

 

  • Ce forum a réuni plus de 700 jeunes engagé.e.s de 20 pays différents pour la protection de l’environnement. Y avait-il des attentes fortes des jeunes autour de ce forum ? Quels étaient les tiennes avant de participer au OFYF ?

Oui les attentes des jeunes étaient fortes ! Tout d’abord, il faut partir du postulat que les jeunes sont conscients des défis qu’ils doivent relever et de ce dont ils ont besoin pour y arriver. Ainsi, un grand besoin de formation aux métiers de l’environnement et au financement des initiatives locales a été formulé.

Ma principale attente lors du OFS était que les décideurs ne séparent plus « climats » de « biodiversité ».

 

 

  • Qu’est ce qui a été le plus enrichissant pour toi lors de cette semaine ?

La rencontre avec les jeunes de divers pays, souvent organisés en réseaux. Ces jeunes savaient ce qu’ils voulaient, leurs revendications étaient claires et leurs argumentaires bien organisés. Cela m’a donné envie d’en parler à la jeunesse malagasy pour qu’elle intègre ses réseaux panafricains dont elles ne font pas encore partie (à ma connaissance).

 

  • Comment as-tu apporté ton expertise sur la préservation des forêts et plus largement de l’environnement ?

J’ai participé uniquement à l’OFYF et aux panels organisés à cette occasion. Mon expertise est intervenue essentiellement lors de l’atelier sur le programme de mobilité. Il m’a semblé que ma présence d’écologue soit importante pour que le projet prenne en compte la temporalité de croissance des arbres, de la gestion des parcelles de sylvicultures qui ne sont pas les mêmes que celles des échéances politiques. Ainsi, il n’est pas seulement question de planter des arbres, il faut ensuite s’occuper des arbres et des modes de gestion communautaire… Deux décennies ne me semblent pas exagéré !

 

 

  • L’attente principale de ce forum était de rendre les jeunesses actrices des politiques publiques environnementales, de développer des projets concrets, produisant des résultats tangibles pour les populations. Quelles recommandations/préconisations ont été faite lors du forum ? Penses-tu que l’objectif a été atteint ?

Des programmes de formations des jeunes aux métiers verts vont être mis en place. Des programmes d’appuis à la création d’entreprises vont également voir le jour. Néanmoins, il va falloir voir le pourcentage alloué à la formation pour les multinationales et celui alloué à l’entreprenariat des jeunes. Dix millions d’emploi devraient être créés dans la gestion des forêts. Sachant que la plupart des entreprises travaillant dans les forêts intertropicales sont étrangères, quelle place restera-t-il pour l’entreprenariat local ?

100 millions d’euros vont être donnés pour la conservation des forêts tropicales. D’autant plus que 100 millions semblent beaucoup d’argent, mais cela ne compense absolument pas les services écosystèmiques qui ont été détruits depuis l’ère pré industrielle, nous avons besoins de centaines de milliards comme durant la crise sanitaire !

Enfin, la protection des forêts passe grâce à la financiarisation du carbone. J’ai posé la question concernant les régions sèches et arides comme il y a dans le Nord-Ouest de Madagascar et ou dans le Sahel. Nous sommes moins compétitifs car la terre est dure, pauvre et les saisons sèches sont longues ; ainsi, pour régénérer des forêts ou des bois (parcelles de sylviculture), il fait creuser de gros trous, les remplir d’engrais organiques, créer des pares-feux, arroser 2 à 3 fois durant la saison sèches. Les zones tropicales humides et équatoriales, plus favorables à une croissance rapide et moins coûteuses des arbres, sont ainsi favorisées dans le financement des projets de protection des forêts.

Les populations des zones sèches, déjà les plus vulnérables aux changements climatiques, seront donc encore plus fortement impactées, ce qui m’affecte profondément.

Mais la finance n’a pas été conçue pour faire du social, seulement de la croissance. Ce qui m’intrigue profondément, c’est que durant le sommet j’ai entendu plusieurs fois qu’il n’y aurait pas de justice climatique sans justice sociale… Quand les dirigeants allieront-ils la parole aux actes ?

Les objectifs sont selon moi partiellement atteint. Certes la jeunesse va être actrice des politiques publiques, mais les réalisateurs resteront toujours des plus anciens qu’eux. (Analogie au cinéma)

 En conclusion la préservation des forêts me semble être un moyen de créer de nouveaux produits financiers et non de contribuer aux bien-être de tous. Les entreprises étrangères semblent tirer d’avantages de bénéfices que les populations locales. Ainsi je ne pense pas que l’objectif est atteint.

 

  • Selon toi, en quoi le lancement d’un programme de volontariat, permettant des mobilités croisées (Nord-Sud, Sud-Nord, Sud-Sud), parmi les pistes les plus concrètes issues du One Forest Summit, est-elle une bonne nouvelle pour la préservation de l’environnement ?

Oui, le programme de mobilités croisées est une bonne nouvelle pour la préservation de l’environnement. Je pense que les échanges Sud-Sud sont une très bonne nouvelle, car cela multipliera les échanges de bonnes pratiques. Je rêve que des amis proches de ma campagne puissent aller au Sahel pour voir le projet de la grande muraille verte pour ensuite faire une tournée dans le Nord-Ouest de Madagascar et témoigner aux habitants qu’il existe des endroits plus arides que chez eux et que les humains arrivent à y planter des forêts. Je souhaite aussi qu’un habitant du Sahel vienne partager ses bonnes pratiques aux habitants du Nord-Ouest de Madagascar. D’après les conversations que j’ai pu entendre entre des Congolais, des Guinéens, des Camerounais, des Gabonais, les échanges de bonnes pratiques en milieu tropical humide devraient être également très prospères !

Pour les échanges Nord-Sud, nous les pratiquons depuis 6 ans avec mon association. S’ils sont bien menés à savoir si les volontaires du Nord amènent leurs connaissances théoriques et les locaux leurs connaissances de terrain, alors tout le monde y gagne et ces échanges sont très productifs.

Les échanges Nord-Sud me semblent être très importants car ils offrent de belles perspectives aux jeunes des pays du Sud. Toutefois j’ai pu lire dans la bibliographie qu’il fallait être prudent dans la manière de le mettre en place. Ce que j’ai lu faisait référence à des échanges universitaires et non à du volontariat. Ils disaient que les personnes ayant appris la gestion des forêts tempérées en France voulaient transmettre ce qu’elles avaient appris. Ainsi, elles ne protégeaient pas tant les forêts existantes et allaient reproduire une monoculture intensive de pins ou d’eucalyptus. En effet, ces dernières reçoivent une formation en technologies avancées, fertilisations des sols, mychorisation artificielle, clonage par culture de tissus, mécanisation utilisation d’avions ou de drone pour les semis ou les épandages de pesticides, etc. L’idée qui prévaut dans la plupart des grandes écoles forestières est que, si ces techniques donnent satisfaction dans les pays riches, les pays pauvres doivent eux aussi s’efforcer de les mettre en œuvre à leur tour.  (Plaidoyer pour la forets tropicale, Françis Hallé , 2014).

Pour contrebalancer ces propos, j’ai pu entendre que certains jeunes de pays arides avaient pu donner des conseils à des agriculteurs français qui commençaient à faire face à la sécheresse à cause des changements climatiques. Nous allons avoir besoin de plus en plus de ces jeunes-là pour nous partager leurs bonnes pratiques avec le climat qui se dérègle de plus en plus.

Pour conclure, je suis content que la France investisse un million d’euros et que de nombreux partenaires s’engagent financièrement également en faveur de la protection de l’environnement. Toutefois, il me semble qu’il sera essentiel de penser à la temporalité et aux modalités des projets sur le terrain pour qu’ils puissent pleinement porter leurs fruits.

 

  • Un dernier mot ?

Nous n’avons pas abordé le sujet, mais j’aimerai que les structures d’accueil bénéficient de fonds pour planter des arbres permettant d’annuler les émissions émises par les déplacements des volontaires…

J’aimerai aussi que les missions des volontaires puissent continuer une fois rentrés dans leurs pays pour pouvoir diffuser un maximum ce qu’ils ont eu la chance d’apprendre à l’étranger durant une période de 6 à 12 mois.