Colline, en immersion dans les communautés Kuy pour illustrer le savoir ethnobotanique local
A tout juste 22 ans, Colline a monté elle-même une mission de service civique qui lui ressemble : en alliant art et science, elle illustre un livre recensant la flore de la forêt de Prey Lang et l’utilisation de ces plantes. L’objectif ? Faire perdurer le savoir ethnobotanique menacé des ethnies Kuy qui vivent sur place. Zoom sur une mission passionnante, portée par le SCD, et effectuée en coopération avec une ONG et un laboratoire de recherche danois, Danmission et l’IFRO, ainsi qu’avec une association cambodgienne de préservation de la forêt, PLCN.
PRESENTATION
- Peux-tu te présenter en quelques mots ?
J’ai 22 ans. J’ai fait une prépa de bio puis j’ai bifurqué vers la faculté où je me suis retrouvée en licence d’écologie avec spécialisation axée botanique. Dans mes projections, j’aimerais travailler dans l’animation et la médiation scientifique.
- Pour quelle(s) raison(s) as-tu décidé de partir en volontariat au Cambodge ?
Et bien en fait je n’ai pas exactement choisi le Cambodge… [rires] ! A la fin de ma licence, j’avais envie de faire une pause, de faire des projets un peu plus concrets pour mieux m’orienter ensuite. J’étais en train de monter une mission de service civique avec une ONG à Madagascar via le SCD, quand j’ai reçu un email de deux chercheurs de l’IFRO, un laboratoire relié à l’Université de Copenhague ! Ils avaient entendu parler de moi par un ami, en stage avec eux : ils recherchaient un illustrateur pour un livre qu’ils écrivaient sur l’utilisation des plantes de la forêt de Prey Lang au Cambodge, et il leur avait dit que je dessinais. Après en avoir parlé avec le SCD, j’ai décidé de me lancer dans le montage de cette mission-là. Et quitte à dessiner des plantes du Cambodge, autant partir au Cambodge !
LA MISSION
- Qui sont l’IFRO, Danmission et PLCN, avec qui tu travailles pour ton service civique ? Que font-ils ?
C’est vrai que cette mission a une configuration un peu particulière… Danmission est une ONG danoise qui s’occupe de coordonner un projet entre deux acteurs :
- Prey Lang Community Network (PLCN), association cambodgienne qui regroupe un peu toutes les ethnies Kuy, qui, dépendantes des ressources forestières, ont envie de défendre la forêt de Prey Lang : c’est l’une des plus grandes forêts sempervirentes qui existe encore au Cambodge ;
- l’IFRO, laboratoire de recherche à Copenhague, qui conduit des études sur la forêt en question, sur l’utilisation des plantes, sur le savoir ethnobotanique…
Dans mon service civique, je suis plus proche de l’IFRO et notamment de deux chercheurs : Nerea, chercheuse en postdoc qui écrit le livre, et Dimitris, qui l’aide et développe une application en parallèle. Mais le projet global, qui s’appelle « It’s our forest too » (« Prey Lang » veut dire « notre forêt ») est coordonné et financé par Danmission. Ils ont d’ailleurs une antenne au Cambodge depuis plusieurs années.
- Peux-tu nous parler un peu de ce projet de livre ?
Tout tourne autour de la rédaction d’une flore usuelle du Cambodge. Il me semble que le Cambodge a le 3ème taux de déforestation le plus élevé au monde : les forêts disparaissent au profit de l’agroforesterie intensive, du braconnage (coupe illégale du bois de rose), entre autres… C’est pourquoi les chercheurs ont décidé d’écrire cette flore qui recense le savoir ethnobotanique local. Ce savoir ancestral est très fragile, puisqu’il se transmet oralement de génération en génération. Si les plantes disparaissent, ce savoir disparait aussi, d’où l’intérêt d’archiver, de recenser l’utilisation des plantes pour faire perdurer ces connaissances et qu’elles soient ensuite diffusées au sein du Cambodge (la flore est écrite en anglais et en khmer).
- Quelle est ton rôle au sein de ce projet ? Quelles actions réalises-tu ?
Je m’occupe des illustrations du livre. Ma mission se déroule en plusieurs étapes.
Je suis d’abord partie au Cambodge, pour rencontrer les membres de PLCN. J’étais accompagnée de l’un des deux chercheurs de l’IFRO, Dimitris, sur le terrain. J’ai eu un rôle de vérification pour voir si ce qui avait été écrit dans le livre était correct sur place : vérifier que les photos correspondaient aux bonnes plantes, prendre les photos manquantes, ce genre de choses. J’ai aussi mené un travail de réflexion avec les peuples Kuy que j’ai adoré : on devait créer des pictogrammes pour permettre à des personnes illettrées de comprendre quelle utilisation pouvait être faite pour chaque plante. Beaucoup de personnes ne savent pas lire, surtout dans les villages…
Après, je suis allée au jardin botanique de la reine Sirikit, dans la province de Chiang Mai en Thaïlande. Avec un autre chercheur, Prachaya, on a fait une recherche complémentaire qui m’a permis de récupérer les photos qui me manquaient.
Après ces deux mois sur le terrain, j’avais terminé la partie « récolte de données » et je suis rentrée en France. Il me fallait un endroit où je sois bien installée, un endroit calme pour dessiner. Voilà où j’en suis en ce moment, je suis dans ma bulle de dessin [rires]. Normalement, je dois partir à Copenhague en juillet pour montrer mon travail à Nerea et Dimitris et avancer avec eux. En tous cas, je suis en contact constant avec eux : je leur scanne les dessins que je fais et ils me donnent leur avis.
- Qu’est-ce que cette mission t’apporte ?
Cette mission m’apporte beaucoup. La première chose, c’est que l’initiative et le montage de ce projet viennent de moi…. Et c’est un peu ce qui me manquait depuis 3 ans et ce que je recherche : trouver quelque chose qui m’anime vraiment et le faire par volonté profonde.
Ce que je trouve très bénéfique également, c’est le travail en autonomie. Je suis tutorée par les chercheurs mais je suis vraiment dans l’organisation de mon propre temps ; ils m’ont laissé toutes les clés en main et j’ai eu la liberté de construire les choses comme je voulais.
Outre ça, c’était mon premier gros voyage. Premier voyage en Asie, premier voyage toute seule… et surtout dans ce contexte-là ! Niveau développement personnel ça a été énorme !
Enfin, c’est la première fois que je travaille pour quelque chose qui fait coïncider l’art et la science. Ce sont deux choses qui ont toujours cohabité en moi mais je n’avais pas l’impression de pouvoir faire de pont entre les deux. Maintenant, je me dis que c’est possible et j’ai de nouvelles perspectives.
L’INTERCULTURALITE
- Quelles sont les différences qui t’ont le plus marquées entre la France et le Cambodge ?
L’organisation entre les gens et les interactions sociales : elles sont tellement différentes des nôtres ! A Prey Lang, elles dépassent le cadre familial, chacun s’occupe des enfants de tout le monde. Des rôles se dessinent et ils ne sont pas forcément liés aux liens du sang. C’était fou de voir la vie et l’entraide dans cette communauté. De ce que j’ai pu observer, plus on se rapproche de la ville, moins c’est présent : c’est très échelonné. Mais c’est sûr que c’est d’autant plus important à Prey Lang, vu qu’ils y sont tous dépendants de la forêt.
J’ai aussi été subjuguée par leur bienveillance. Quand tu arrives dans un village complètement isolé après 3h de route en scooter, ils sont tellement accueillants… Si tu leur poses des questions sur l’utilisation des plantes ils sont ravis de répondre et complètement en confiance. Et ils ne veulent plus te laisser repartir [rires].
Après il y a des côtés un peu plus déroutants aussi, comme dans toute société. Dans les rapports sociaux, j’ai remarqué qu’ils ont tendance à éviter le conflit direct, ils amènent les choses de manière détournée.
Mais de manière générale, je n’avais pas tellement de point de comparaison. J’ai été en immersion totale, c’était intense ! Dans les villages où je suis passée, ils n’ont pas l’eau courante, pas l’électricité. Avec 20 Cambodgiens, nous sommes partis 4 jours dans la forêt avec nos hamacs pour patrouiller et contrôler l’abattage et la coupe illégale. On oublie notre petite vie et notre société et on se retrouve projeté à plus de 10 000 km, dans un autre mode de vie, une autre temporalité… C’est assez hallucinant.
LES MOTS DE LA FIN…
- Si tu devais résumer ton expérience du volontariat à l’international en une phrase…
Les liens tissés avec les Kuy, la spontanéité de leur dévouement vis-à-vis d’un milieu essentiel à leur survie, la forêt, base de leurs ressources, et la manière dont ils sont prêts à se sacrifier pour traquer quiconque écorchera leurs arbres ont fait écho en moi à une envie profonde de me battre pour le maintien de cette biodiversité menacée, évidence plus que nécessaire que je souhaite à présent insuffler à mon tour !
- Un conseil aux futurs volontaires ?
On a tous tendance à vouloir comparer, mais parfois il faut se détacher de ça quand on s’implante dans une culture aussi différente. Il faut regarder ce qu’il se passe, l’assimiler, mais éviter la comparaison permanente : sinon tu rentres dans un mécanisme de jugement qui ne t’aide pas forcément à accepter et à comprendre ce qu’il se passe autour de toi… Même ce que j’ai dit tout à l’heure pour répondre aux questions, par exemple ! On compare et on juge selon notre référentiel français et je pense que c’est important d’essayer de se sortir de ce référentiel-là.
Il faut aussi accepter le fait que c’est bien d’amener notre point de vue et nos idées, mais qu’on ne peut pas imposer ni forcer quoi que ce soit. Il y a des comportements que l’on ne pourra pas changer… et qu’il ne faut pas chercher à changer d’ailleurs ! Si eux en ressentent un jour le besoin et l’envie ce sera à eux d’initier ce changement. Et puis on n’est pas non plus un exemple de fonctionnement ! Moi franchement ça m’a vraiment remise à ma place [rires].