Gabriel, volontaire de solidarité internationale œuvre pour la protection d’une réserve naturelle au Sénégal
Gabriel est ingénieur agronome spécialisé dans la gestion des milieux naturels et passionné d’ornithologie. Il a rejoint l’équipe du Conservatoire de la réserve naturelle communautaire du Boundou (CORENA) au Sénégal en 2016 en tant que chargé d’appui en éducation à l’environnement, suivis écologiques et développement local.
Présente-nous ta structure d’accueil et ta mission
Le CORENA est une association sénégalaise en charge de la gestion de la [réserve naturelle communautaire du Boundou->http://www.reserve-boundou.com/] (RNCB) qui est une aire protégée de 120 000 hectares à l’est du Sénégal. Elle regroupe l’ensemble des habitants de la RNCB (7 000 en 2016) et est gérée par les maires des quatre communes qui la composent (Koussan, Dougué, Sinthiou Fissa, Toumboura). Un conseil d’orientation (constitué de l’Agence régionale de développement de Tambacounda, les Eaux et Forêts de Tambacounda, le Parc national du Niokolo Koba, l’Inspection académique de Tambacounda et le département de l’Isère) assure un suivi régulier des actions et un appui technique conséquent. Le CORENA a pour vocation d’aider les populations locales à mieux préserver leurs ressources naturelles en vue d’un développement durable des villages de la zone, en coopération avec le département de l’Isère, principal appui technique et financier de l’association. Une équipe technique composée d’un conservateur-gestionnaire, d’un volontaire et d’un agent de terrain, est chargée de mettre en place les actions prévues dans le plan de gestion de la RNCB. Le volontaire y a un rôle d’appui au fonctionnement et à la mise en œuvre des activités menées par le CORENA notamment le suivi écologique et à l’éducation à l’environnement. Vingt-cinq écogardes issus des communautés sont chargés d’effectuer des surveillances et des séances de sensibilisation auprès des populations locales mais également des nombreux bergers venus du nord.
Pourquoi avoir choisi ce projet ?
Ingénieur agronome spécialisé en gestion des milieux naturels et naturaliste passionné, que demander de plus qu’une contrée perdue en brousse à étudier et préserver ?! Le poste proposé était à la fois complet et inhabituel mêlant terrain et bureau, théorie et pratique, développement et conservation dans un pays stable et très accueillant : une occasion en or ! De plus, la RNCB est gérée par et pour les populations locales, ce qui est manifestement bien différent de la plupart des projets de développement de nos jours. Le département de l’Isère se place en appui technique et financier, pas en décideur direct et les actions sont mises en place dans le respect de la culture et des codes locaux. La RNCB se veut être un exemple d’implication des populations dans leur avenir. Tout le monde est d’accord pour dire que la brousse est leur seul bien véritable et qu’elle est en train de se dégrader rapidement. On parle certes de changements climatiques mais n’est-ce pas une pointe de fatalisme ? La population humaine et le nombre de têtes de bétail locales et transhumantes ont explosé ces dernières années dans la zone et la brousse recule de jour en jour. Les mécanismes sociaux d’adaptation ne sont pas encore en marche. Le projet vise à organiser de manière concertée et consensuelle la gestion locale des ressources naturelles. Et à cette échelle, je pense que c’est une première au Sénégal…
Qu’as-tu tiré de cette expérience ?
Le Sénégal est un exemple d’intégration et d’acceptation des différences. On ne peut qu’être épaté par cette capacité à accueillir tout étranger à bras ouverts. Globalement, tout le monde est gentil ici mais je n’oublierai jamais mon supérieur et sa famille avec qui j’ai noué des liens d’amitiés très forts. Il m’a accueilli presque comme si j’étais son fils et je l’en remercie énormément. Cela pose d’ailleurs beaucoup de questions quant à la politique d’immigration en France. C’est un sujet tellement compliqué…
Enfin, j’avais déjà remarqué qu’en France, on était souvent trop pressé mais là…j’ai acquis une patience à toute épreuve. Toujours avoir un livre sur soi !
Sur le plan professionnel, j’ai appris à travailler avec des gens d’une culture totalement différente de la mienne. Ça peut paraître banal mais ça s’apprend et j’ai remarqué que pas tout le monde n’était capable de le faire, même après plusieurs années sur place. Pourtant c’est la clé de la réussite. Un aspect important qu’un volontaire doit comprendre, a fortiori dans les zones reculées, c’est qu’on est bien plus qu’un « simple » volontaire parmi d’autres, affilié à une structure particulière : tout ce que l’on fait ou dit est interprété et peut être conçu comme une attitude générale de la part des Français (et ici, plus généralement des Occidentaux). En outre, notre attitude peut directement impacter la réussite du projet et il est primordial d’apprendre à agir de manière convenable dans la culture locale. Après tout, c’est moi qui ai voulu venir, à moi de m’adapter ! Il est donc bien de prendre du temps pour observer avant de vouloir proposer quoi que ce soit. Mais c’est loin d’être toujours simple… L’aide au « développement », même si je n’aime pas ce terme, est pour moi désormais synonyme de remise en question perpétuelle.
Plus technique, j’ai bien intégré que, pour rendre attractives des actions de développement ou de préservation auprès des populations humaines, il faut s’intéresser à leurs codes, à leurs vies, à leurs envies avant de vouloir mettre en place quelque chose. Ici, tout prend du temps, alors pourquoi être pressé ?
Quelles compétences nouvelles as-tu apportées à la structure d’accueil lors de ta mission ?
La plus remarquable est sans doute comment agir et parler pour une meilleure coopération avec des Français. Même avec une langue commune, les cultures sont très différentes et ce n’est pas toujours simples de communiquer ou de se comporter convenablement (dans les deux sens).
Du point de vue technique, ce doit être dans le cadre de l’éducation à l’environnement que c’est le plus flagrant car j’ai personnellement monté le programme sur la base de mes connaissances et de mon analyse du système éducatif et social de la zone. Mais ne soyons pas dupes, ce fut uniquement possible grâce à l’accueil et la capacité d’intégration dont a fait preuve l’équipe et notamment mon supérieur. Tout s’est fait en concertation et je pense que c’est ce qui a permis des avancées.
Enfin, du point de vue naturaliste, j’ai ajouté plus de 60 espèces à la liste des oiseaux de la RNC du Boundou et assuré une meilleure connaissance de l’écosystème de la zone.
Serais-tu partant(e) pour une autre mission ? Au Sénégal ? Ailleurs ? Pourquoi ?
Pas tout de suite. J’ai besoin de temps pour prendre du recul sur ce que j’ai fait ici et aussi de retrouver ma culture à laquelle je suis finalement plus attaché que ce que je pensais. Je voyagerai sans doute prochainement pour étancher ma soif de découverte et de partage mais il me faut retrouver mes marques pour une nouvelle mission à l’étranger, du moins de cette durée.
Quels avenir et perspectives après ta mission ?
Retour à la case « recherche d’emploi », ce qui ne me fait pas peur. Je ne considère pas comme on veut nous le faire croire que le chômage est une honte mais plutôt une chance quand on n’a pas de famille à charge car on peut alors toucher à tout et aborder des choses que l’on n’aurait pas forcément réalisées si on avait un travail. Je connais une palanquée d’associations en recherche de bénévoles pour des animations ou des missions d’éducation à l’environnement. Mais pour être honnête, je ne pense pas rester sans travail longtemps au vu de l’expérience acquises grâce à ce projet… Et pourquoi pas se lancer dans le maraîchage comme le font les femmes des villages du Boundou !?
Ce qui est sûr, c’est que je n’oublierai pas la RNC du Boundou. Il y a encore tellement de choses à faire rien que dans la mise en réseau et la création d’outil pédagogiques qu’un bénévole même à l’étranger ne sera jamais de trop.
Raconte-nous une petite anecdote
Lors d’une mission dans un petit village du Boundou (quatre concessions familiales), j’étais logé dans une case appartenant à un homme alors absent. Certaines femmes, qui savaient que j’étais là, entraient n’importe quand, sans se soucier de ma présence. Le deuxième jour, alors que je me reposais, allongé sur le lit, une femme leva le rideau, mis un pied dans la case puis sortit en criant. J’entendis les femmes de la maison rirent aux éclats mais ne compris pas tout de suite ce qu’il se passait. Plus tard dans l’après-midi, une autre femme entra et s’enfuit en hurlant « Toubaco ne Sunu ! ». De nouveau, les femmes de la maison éclatèrent de rire et je compris l’affaire : les femmes avaient tout simplement inventé un jeu pour surprendre leurs voisines non-averties et les envoyaient dans la case où je me trouvais afin d’observer leurs réactions. J’avais régulièrement déjà fait pleurer nombre d’enfants en bas âge dans les villages reculés mais n’avait encore jamais fait fuir des adultes !