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LE MAG’

À Boffa, la pêche artisanale face au défi de la préservation 

23 Juin. 2025

© Lola Ortega

La petite ville de Boffa, en Guinée, fait l’objet d’un ambitieux programme de modernisation : le projet de développement durable de la pêche Artisanale (P2DPA), mené par Charente-Maritime Coopération et la préfecture locale, s’attaque à la précarité de la filière halieutique. Sur le terrain, des volontaires comme Lola Ortega accompagnent les pêcheurs dans un contexte fragilisé par l’intrusion croissante de l’industrie minière.

Boffa, quatre heures de piste cahoteuse au nord de Conakry, s’étire sur les rives de la rivière Katala, au cœur d’un vaste estuaire bordé de mangroves. Ici, la pêche artisanale est une affaire de survie autant que de tradition. Mais dans les années 2010, la filière pêche artisanale souffre d’un manque criant d’infrastructures : absence de digue pour faciliter le débarquement, pas d’adduction d’eau ni de latrines sur le port, aucun système de conservation réfrigéré, et des équipements de séchage ou de navigation largement inadaptés aux besoins.

C’est dans ce contexte qu’en 2019, la coopération décentralisée entre le Département de la Charente-Maritime (via Charentre-Maritime Coopération) et la ville de Boffa – active depuis 1992 – se dote d’un nouvel outil : le projet de développement durable de la pêche artisanale (P2DPA), cofinancé à hauteur de 1,58 million d’euros, dont un million via le l’Agence française de développement (AFD).

Une digue entre deux mondes

Quelques années plus tard, les infrastructures sont là, avec, entre autres, un débarcadère flambant neuf, équipé d’une digue. « C’est essentiel pour les populations insulaires, qui devaient auparavant attendre la marée basse ou haute pour accoster. Maintenant, tout est plus fluide », explique Lola Ortega, volontaire de solidarité internationale (VSI) envoyée par Charente-Maritime Coopération entre janvier 2023 et juin 2024.

La jeune diplômée en économie du développement a rejoint le projet en fin de cycle, avec une mission de terrain : former, sensibiliser, structurer. « On a beaucoup travaillé sur la cogestion du port avec les pêcheurs et les femmes transformatrices. Un comité local a été mis en place pour gérer les conflits, organiser les taxes, représenter toutes les parties. C’est eux qui tiennent la barre maintenant. »

Grâce à ce projet, les acteurs de la filière pêche ont pu bénéficier de formations en gestion durable de la ressource halieutique et concernant les bonnes pratiques sanitaires. © Lola Ortega

Le P2DPA ne s’est pas contenté de verser du béton. Avec l’appui d’experts de Charente Maritime Coopération, il a organisé des formations sur l’hygiène, la gestion des infrastructures, la réglementation de la pêche et même l’alphabétisation des femmes. Un effort global, qui touche toutes les étapes de la filière : des armateurs qui possèdent les pirogues aux femmes qui fument et vendent le poisson dans les villages.

De la barque au marché, toute une chaîne à repenser

Nicolas Dubois, directeur du port de la Cotinière, sur l’île d’Oléron, a quant à lui participé aux séances de formation organisées à Boffa en janvier 2023 : « Apporter son expertise à l’international dans mon secteur de la pêche est un grand enrichissement personnel, cela m’a permis de projeter le modèle économique artisanal récent de la Cotinière, et de montrer aux bénéficiaires de la formation que les modèles coopératifs, les services facturés acceptés par les oléronais pêcheurs, acheteurs, ont permis une croissance et une dynamique fortes à la Cotinière ».

Mais dans l’ombre des filets tendus et des comités de cogestion, une autre réalité menace. Depuis deux ans, les eaux de Boffa ne sont plus aussi poissonneuses : l’exploitation de minerais s’est en effet intensifiée ces dernières années. Des barges gigantesques draguent les fonds, parfois sans se soucier des zones de pêche traditionnelles. Résultat : les ressources halieutiques s’effondrent, l’économie locale tangue. « C’est toute une chaîne qui est impactée. Les femmes ne peuvent plus sécher du poisson qu’elles n’ont pas. Les familles perdent leur seul revenu. C’est grave, et pourtant, peu de gens en parlent », alerte la VSI : « L’extraction en mer pollue, détruit les fonds marins. Les pêcheurs reviennent les mains vides. Certains n’osent même plus sortir leurs barques. »

"On a travaillé sur la cogestion du port avec les pêcheurs et les femmes transformatrices. Un comité local a été mis en place pour gérer les conflits, organiser les taxes, représenter toutes les parties."

Dans les derniers mois du projet, une partie des fonds restants a été réaffectée à des actions d’urgence: sensibilisation à la diversification des revenus, mise en place de microprojets alternatifs. «Ce n’était pas prévu dans le plan initial, mais on ne pouvait pas fermer les yeux. Il faut une suite, une réponse politique à cette destruction silencieuse », insiste Lola Ortega.

Le projet P2DPA s’est terminé officiellement en 2024, mais ses héritiers, eux, sont bien là : un port structuré, un comité en place, des professionnels formés. Reste à savoir si ces acquis survivront au rouleau compresseur de l’extraction minière. À Boffa, comme ailleurs, la mer reste un bien commun précieux, et les acteurs locaux, soutenus par des projets engagés, montrent déjà la voie d’une gestion durable et solidaire.

Le projet P2DPA en chiffres

  • 1 583 000 €
    C’est le budget total du projet P2DPA sur trois ans, dont un million financé par l’AFD via le dispositif FICOL. Un montant qui a permis de financer à la fois les infrastructures (port, marché, débarcadère) et les formations des acteurs de la filière pêche.
  • 6 000 bénéficiaires directs
    Estimation du nombre de personnes ayant directement profité des infrastructures sanitaires et d’accès à l’eau créées à Boffa, notamment autour du port, du marché et du débarcadère de Walia.
  • 3 infrastructures majeures
    Le port de Boffa a été réhabilité, un marché moderne construit en centre-ville et un débarcadère aménagé à Walia avec une digue permettant d’accoster à toute heure, facilitant les échanges entre les îles et le continent.
  • 1 comité local de cogestion
    Créé pour garantir une gestion participative du port, ce comité rassemble pêcheurs, femmes transformatrices et autorités locales. Il gère les taxes, les conflits, et assure la pérennité des actions après le retrait du projet.

 © Lola Ortega

De Nice à Boffa, un engagement global pour les océans

La troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC 3), qui s’est tenue à Nice en juin 2025 et à laquelle France Volontaires a activement participé, a rassemblé plus de 170 pays pour renforcer la protection des océans face aux menaces croissantes. Parmi les avancées, la ratification du Traité sur la haute mer et un engagement fort contre la pollution plastique ont marqué cette rencontre. Ces initiatives internationales rejoignent les projets locaux comme celui de Boffa, en Guinée, où la coopération entre la Charente-Maritime et la communauté locale modernise la pêche artisanale. Cette alliance entre actions globales et efforts de terrain est essentielle pour préserver durablement nos océans.

Bio express

Lola Ortega est diplômée d’un master en Conception et Ingénierie de projets de développement à l’Université de Bordeaux. Elle s’est très tôt engagée dans des projets mêlant environnement, gouvernance locale et solidarité internationale. Après un premier stage à l’Association des Enseignants des Sciences de la Vie et de la Terre Maroc (AESVT), elle enchaîne avec un Service civique chez Initiative Développement puis en tant que VSI, en Guinée, où elle pilote le projet de développement durable de la pêche artisanale avec Charente-Maritime Coopération. Elle coordonne aujourd’hui des projets environnementaux et de résilience communautaire portés par l’AESVT Maroc.
Lola Ortega
Volontaire de solidarité internationale

 © Photo : Bandjan Doumbouya

 © Lola Ortega

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