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Raphaël Grosbois, doctorant à l’université de Montpellier, a mené une étude sur la langue française dans la société cambodgienne. Il fait partie de la cohorte de volontaires qui sont mobilisés chaque année hors de nos frontières par France Volontaires et ses membres pour travailler autour de la thématique de la francophonie. Retour avec lui sur sa mission, alors que la semaine de la francophonie se tiendra du 16 au 24 mars prochains.
Une année entière pour évaluer l’implémentation, la gestion, l’usage et la réception de la langue française dans la société cambodgienne : c’est le travail auquel s’est attelé Raphaël Grosbois en 2022 en tant que volontaire de solidarité internationale (VSI). Envoyé sur place par le Service de coopération au développement (SCD), il a travaillé au sein de l’Institut national de l’éducation du Cambodge pour aller à la rencontre des acteurs locaux de la francophonie. Objectif : comprendre la façon dont notre langue est encore parlée dans la société au Cambodge, un pays qui fut d’abord un protectorat français puis rattaché à l’Indochine française (1863-1953).
Sur quoi devait porter concrètement votre étude sur le français ?
Officiellement, le but était de collecter des données sur le nombre d’apprenants du français et leurs origines sociales dans le mille-feuilles éducatif cambodgien. Il s’agissait également de savoir si ce dernier facilitait ou non l’employabilité des personnes qui le parlent. J’ai travaillé à la fois sur la vision d’en haut, celle des organisations gouvernementales et non-gouvernementales qui œuvrent à l’échelle nationale et supranationale autour des questions de francophonie. Mais également sur la dimension intermédiaire concernant la réception et la gestion des politiques éducatives et linguistiques, et enfin sur la vision « d’en bas », pour savoir comment l’apprentissage du français est reçu par les personnes à qui on l’enseigne.
Ce travail a été mené à travers une ethnographie du quotidien et des entretiens individuels et collectifs pour apprendre à connaitre ces locuteurs et l’impact de la langue dans leurs vies.
Quelles conclusions en avez-vous tiré ?
En fait, on s’est aperçu que le français au Cambodge est moins une langue de « service » qu’une langue de culture. Au regard de l’étude, il s’est avéré qu’il était surtout utilisé dans certains secteurs professionnels très spécifiques comme la médecine, l’humanitaire et le développement, et de façon plus anecdotique dans l’archéologie (dans la mesure où c’est la langue qui donne accès aux archives). Cela a beaucoup évolué depuis les années 90, avec une fragilisation de l’enseignement du français dans les établissements publics. Cela s’explique en particulier par le fait que les besoins de la société ont changé et par les différents changements d’enjeux de coopérations politiques entre les partenaires français/francophones et les partenaires cambodgiens.
Quand nous avons réalisé nos Focus Groups (une méthode scientifique qui permet d’étudier des problématiques non pas à travers l’enquête d’individus, comme c’est le cas dans l’enquête par sondage, mais par la discussion de groupe – NDLR), il en est ressorti que le français était représenté comme la langue des rois, alors que l’anglais était considéré comme la langue des tuk tuk.
"Le français est la langue des rois alors que l’anglais est la langue des tuk tuk"
Qu’est-ce que cela signifie ?
Très concrètement, nous avons noté la persistance de lien entre le passé et le présent : la famille royale entretient l’habitude de scolariser ses membres dans des établissements français. Incarnation du pouvoir et de l’élitisme, il est en réalité difficile d’apprendre le français sans avoir recours à des cours particuliers. Maitriser la langue française représente des années d’étude et un investissement financier important. La langue est moins présente dans les établissements publics que l’anglais. Il y a alors une opposition entre une langue des élites, le français, et une langue plus accessible, qui est l’anglais qui peut être maniée par “n’importe qui”.
Cet élitisme est-il mal vu par la population cambodgienne ?
Non, il n’est pas mal vu du tout, au contraire. Les Focus Groups comme les entretiens individuels ont fait ressortir cet élément : parler français, c’est une aspiration à se différencier d’une partie de la société, c’est aussi s’habiller différemment et plus globalement disposer d’autres codes socio-culturels. Mais au-delà de la question de l’élitisme, le français est également considéré comme la langue de la démocratie, ce qui peut paraître paradoxal puisque la langue s’est développée dans le cadre d’un mouvement global de colonisation de cette région de l’Asie. Enfin, dernier aspect important, notre langue est aussi vécue à la fois comme une langue d’opportunités et comme une langue de « non-choix » : apprendre le français donne plus de chances d’obtenir des bourses pour aller à l’université, où certains enseignements (en particulier en médecine) sont toujours dispensés en français. Mais à l’inverse, ne pas parler français ferme donc aussi des portes, et notre langue a de ce fait un statut ambigu.
"Il y a une réelle volonté politique d'augmenter l'enseignement du français"
Quelle est l’attitude des acteurs éducatifs et politiques au Cambodge vis-à-vis de la langue française ?
Le cas du Cambodge est particulier dans la région : l’attachement sentimental au français y est très fort, il y a une réelle volonté dans les discours de maintenir la langue française présente, à la fois en augmentant le nombre de locuteurs, mais surtout en augmentant la qualité de la pratique. Il existe un Plan global pour le français (PGF) mené conjointement par la France et par le ministère de l’Education nationale du Cambodge qui promeut la mise en place d’outils, de comités de recherche, qui souhaite mieux former les professeurs également. Le discours politique autour de la francophonie est aussi très important. Il y a une réelle volonté politique d’augmenter les financements pour accroitre l’enseignement du français entre autres pour contrer la montée en puissance du chinois (mandarin) et de l’anglais, qui, au-delà de la langue, promeuvent aussi un autre modèle de société.
Volontariat et francophonie en chiffres
De nombreux volontaires sont mobilisés par France Volontaires et ses membres autour de la thématique de la francophonie, dans le monde comme sur le territoire français dans le cadre de la réciprocité des échanges. A titre d’exemple, en 2022, 24% des missions en Service civique international ont été réalisées dans le cadre de la francophonie. Ces volontaires sont particulièrement présents dans les Alliances françaises (31% des missions), les lycées français (28%), les instituts français (7%), ainsi que dans des associations proposant l’enseignement du français. Du point de vue géographique, 59% se sont déroulées en Europe et 41% sur le reste de la planète.
Dans l’Aisne, un lieu unique dédié à la langue française
La Cité internationale de la langue française a ouvert officiellement ses portes le lundi 30 octobre 2023 à Villers-Cotterêts dans l’Aisne. Premier lieu culturel entièrement dédié à la langue française, il a pour cadre un château de la Renaissance classé monument historique. La Cité accueille à la fois des expositions, des spectacles et des débats dans son auditorium, mais aussi des sessions de formation ou des résidences d’artistes ou de chercheurs.
La Cité internationale de la francophonie à Villers-Cotterêts. © DR