A Ouidah au Bénin, la Porte du non-retour commémore la déportation de millions de personnes vers les Antilles et l’Amérique latine dans le cadre de la traite d’esclaves noirs en provenance d’Afrique. © jbdodane
Réunies par un passé douloureux et un récent jumelage, les villes des Anses d’Arlet et d’Ouidah (au Bénin) construisent ensemble des ponts au-dessus de l’Atlantique : elles travaillent autour de projets communs dans le domaine culturel et touristique (entre autres). Comlan Pacôme Alomakpe, récemment rentré au Bénin après dix mois en Martinique, revient avec nous sur sa mission.
Si l’Atlantique sépare la commune des Anses d’Arlet, en Martinique, de celle d’Ouidah, sur la côte du Bénin, les deux collectivités travaillent main dans la main depuis plusieurs années. En 2019, un jumelage a ainsi été mis en place entre les deux villes, rappelant les liens forts qui unissent les Antilles et l’Afrique de l’Ouest au travers d’un passé marqué par la pénible histoire de l’esclavage. Aujourd’hui, les Anses d’Arlet et Ouidah mettent leur énergie en commun autour de partenariats sur les plans touristique, environnemental, culturel, ou social, tandis que les associations de pêcheurs des deux cités développent également des collaborations.
C’est dans ce contexte que des volontaires de solidarité internationale (VSI) martiniquais sont déployés au Bénin, tandis que leurs homologues béninois viennent sur cette île des Caraïbes, conformément au principe de réciprocité dans le volontariat international d’échange et de solidarité. Comlan Pacôme Alomakpe faisait partie de ces derniers : rentré au Bénin à la mi-décembre, nous avons fait un bilan avec lui du déroulement de sa mission dans les Antilles, où il était chargé du développement de plusieurs activités liées à la valorisation du patrimoine, à l’éducation, au tourisme et à la pêche.
Concrètement, quelles activités as-tu pu mettre en œuvre dans le cadre de ta mission ?
J’ai eu le plaisir d’organiser des échanges thématiques entre acteurs socio-économiques martiniquais et béninois concernés par une même thématique, qui ont pu se rencontrer en visio-conférence et échanger sur leurs pratiques respectives. Dans le même esprit, des artistes béninois et martiniquais ainsi que des marins pêcheurs des deux territoires ont eu le plaisir d’échanger avec leurs homologues outre-Atlantique.
Les deux villes ont en commun un passé en lien avec l’esclavage : comment cela se matérialise-t-il ?
Plusieurs projets sont en cours. Le premier est celui de la Porte du retour, un site mémorial qui serait à l’image de la Porte du non-retour de Ouidah, érigée en 1995 avec des matériaux durables (béton et bronze) et une intervention artistique relevée. Ces deux sites vont se connecter pour valoriser la mémoire de la traite des Noirs et renforcer les liens de fraternité et de solidarité entre les communautés de Ouidah et celles des Antilles.
J’ai également collaboré à l’organisation des Journées de la Mémoire et de la Réconciliation en mai 2024. Cette initiative cherche à renforcer les relations entre le Bénin et la Martinique, où la communauté afrodescendante est importante, en offrant un cadre propice à la consolidation de ce lien culturel. Elle met l’accent sur le partage et les réminiscences des héritages africains au sein des territoires afrodescendants, tout en promouvant des valeurs de paix et de cohésion entre les peuples. Durant une semaine, des artistes et des scientifiques des deux territoires ont pu se rencontrer et célébrer le 22 mai, journée de l’abolition de l’esclavage en Martinique. Nous avons ainsi organisé un spectacle appelé « Racine et Réconciliation » dont des représentations ont été données dans plusieurs communes martiniquaises (Le François, Sainte Anne, Basse Pointe, Saint Esprit et Saint Pierre).
"Valoriser la mémoire de la traite des Noirs et renforcer les liens de fraternité et de solidarité entre les communautés d'Ouidah et des Antilles"
Avec ta formation dans le domaine du tourisme et de la gestion du patrimoine culturel, ce volontariat répondait-il à tes attentes ?
Effectivement, j’ai choisi de m’engager car le volontariat est une opportunité unique pour collaborer et rencontrer des personnes dans mon domaine d’expertise. J’ai ressenti le besoin de mettre à l’épreuve mes connaissances et de m’ouvrir à d’autres horizons. C’était l’occasion d’acquérir de nouvelles connaissances ainsi que de nouvelles compétences. La Martinique étant une réserve de biosphère inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco. J’ai été attiré par l’ébullition artistique et culturelle de l’île. De ce point de vue-là, toutes mes attentes ont été comblées.
En revanche, j’aurais aimé pouvoir rester plus longtemps. De nombreux projets ont été mis en place et pour lesquels des demandes de financement ont été formulées. Nous sommes au début d’un long processus auquel je ne pourrai malheureusement pas continuer d’apporter physiquement et en présentiel, ma modeste contribution. Une mission d’un an, c’est court, c’est un délai qui ne permet pas d’assister à la concrétisation des initiatives qui sont à l’étape embryonnaires. Il aurait pertinent que la mission soit renouvelée pour un an de plus.
D’un point de vue personnel, cette expérience a-t-elle également été l’occasion de découvrir la vie en Martinique ?
Oui, mon immersion m’a même offert une expérience dans l’art culinaire, avec l’apprentissage de la cuisine martiniquaise et la découverte des liens culturels entre les traditions culinaires du Bénin et celles de la Martinique. À travers cette expérience, j’ai le sentiment que je suis en train de reconstruire mon humanité, de redécouvrir ce qui nous lie en tant qu’êtres humains. Ce séjour m’a d’ailleurs inspiré pour le prochain livre que je suis en train d’écrire !
Bio express
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