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Entre montagnes et patrimoine classé, Luang Prabang, au Laos, fait face à des défis environnementaux croissants. Sécheresses prolongées, tensions sur les ressources, pression urbaine : dans ce décor fragile, deux projets portés par des ONG, la Région Centre-Val de Loire et les autorités sanitaires laotiennes dessinent une réponse collective aux enjeux de l’eau. Vincent Capron, volontaire de solidarité internationale, accompagne ces actions sur le terrain.
Il faut parfois remonter à la source — au sens propre — pour comprendre les enjeux de l’accès à l’eau dans la province montagneuse de Luang Prabang, au nord du Laos. Depuis 2019, l’association Confluence, en partenariat avec la Région Centre-Val de Loire et avec l’aide du département de la santé de la Province, y déploie le programme DearWater. Construit en deux phases, ce projet vise à améliorer durablement l’accès à l’eau potable dans des villages reculés, en s’appuyant sur une démarche participative.
Des réseaux d’eau au cœur des villages
« C’est un projet de construction de réseaux d’eau potable, mais pas seulement », explique Vincent Capron, volontaire de solidarité internationale (VSI) détaché auprès de la région. « Les communautés rurales sont impliquées pendant presque un an, du diagnostic jusqu’à la formation d’un comité de gestion. » Une gouvernance locale de l’eau s’organise autour des sources, souvent situées en forêt, et dont la préservation devient essentielle.
Le contexte géographique — zones montagneuses, villages dispersés — rend l’intervention des services publics difficile. Ce sont donc les communautés qui, avec l’appui de l’ONG franco-laotienne Confluence, construisent les réseaux, apprennent à les entretenir, mais surtout, s’interrogent collectivement sur leur gestion. « Chaque foyer paie désormais pour son accès à l’eau, ce qui est assez neuf au Laos. Il faut alors accompagner l’acceptation de ce changement. Ce sont les villageois qui nous disent ce qu’ils attendent de ce nouveau service. »
La phase 1 de DearWater, menée entre 2019 et 2022, a permis la construction de douze réseaux, permettant un accès sécurisé à l’eau à près de 5 000 habitants. La phase 2, en cours depuis 2023, entend étendre cette démarche à d’autres zones rurales, en accentuant la dimension de capitalisation et de résilience climatique. Car l’urgence est là.
A Luang Prabang, au centre du Laos, une quinzaine de mares urbaines, vestiges d’un ancien système hydraulique traditionnel, font l’objet d’une réhabilitation. © CJ / Unsplash
« Le changement climatique assèche les sources, c’est visible ici : les saisons des pluies sont plus capricieuses, les saisons sèches plus longues. Les communautés, très autonomes, le perçoivent très bien. » À cette variabilité naturelle s’ajoutent des pratiques agricoles gourmandes en eau, comme la culture de l’hévéa encouragée par la demande chinoise. « Ce n’est pas toujours compatible avec un accès durable à l’eau potable », alerte Vincent.
Dans la ville classée, la mémoire des mares
À quelques kilomètres des montagnes, le cœur historique de Luang Prabang — inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO — abrite lui aussi des enjeux hydriques moins visibles mais tout aussi cruciaux. Au sein même de la ville, une quinzaine de mares urbaines, vestiges d’un ancien système hydraulique traditionnel, dépérissent lentement. L’association française GRET, active au Laos depuis plus de quinze ans, tente aujourd’hui de les sauver.
Le projet, soutenu par la Région Centre-Val de Loire dans le cadre de la coopération décentralisée, entend réhabiliter ces plans d’eau, menacés par l’abandon, la pollution, et l’emprise foncière galopante. « Ces mares sont exceptionnelles. Le GRET travaille à les préserver pour leur rôle écologique, mais aussi patrimonial et social », raconte Vincent. L’eau y joue un rôle d’amortisseur thermique, de régulateur naturel et de réservoir pour la biodiversité urbaine.
« Le changement climatique assèche les sources, c’est visible ici : les saisons des pluies sont plus capricieuses, les saisons sèches plus longues. Les communautés, le perçoivent très bien. »
Entre 2021 et 2024, six mares pilotes ont fait l’objet de diagnostics participatifs, de travaux de désenvasement, de plantations de végétation locale et d’actions de sensibilisation auprès des riverains. Le projet veut faire école : à travers des fiches techniques, des outils pédagogiques et une plateforme de suivi, il s’agit aussi de diffuser ces bonnes pratiques à d’autres villes du Laos confrontées aux mêmes défis.
« Mon rôle, ce n’est pas d’exécuter les projets, mais de suivre ce qui se fait, de tirer des leçons, de faire circuler l’info entre les acteurs. C’est aussi montrer que ce qui marche ici peut inspirer ailleurs. » Au fil des mois, Vincent documente, coordonne, rend compte.
Coopérer pour durer
Une mémoire du projet se constitue, d’autant plus précieuse que ce partenariat est appelé à durer. La coopération décentralisée entre la Région Centre-Val de Loire et la province de Luang Prabang remonte d’ailleurs à 2005. Elle s’est étoffée au fil des années, mêlant patrimoine, santé, éducation… et désormais écologie. C’est dans cette logique que les projets DearWater et Ban Man’eau (dérivé du nom d’une des mares réhabilitées) s’inscrivent, avec une ambition commune : répondre localement à des enjeux globaux.
« Ce travail permet de réfléchir à comment être acteur de ce débat public sur l’usage de l’eau », estime Vincent Capron. Et la Région Centre a, dans ce dialogue, sa carte à jouer. « Avec ses marais à Bourges ou dans la Brenne, la collectivité dispose d’une expertise, et dans le même temps, elle apprend aussi beaucoup ici. On est dans un échange, pas dans un transfert de modèle. »
De la source forestière au plan d’eau urbain, une même question traverse les projets : comment préserver l’environnement en conciliant usage, développement, et durabilité ? La réponse, à Luang Prabang, s’écrit à plusieurs mains — celles des ONG, des collectivités, des volontaires, et surtout des habitants eux-mêmes. « Il faut partir de ce que les gens savent déjà. C’est eux qui vivent les impacts du dérèglement. Le rôle du projet, c’est de les aider à structurer une réponse collective. »
À Luang Prabang, cette coopération illustre comment les territoires, en croisant leurs expériences, peuvent construire des réponses durables aux grands enjeux de notre siècle.