Abdoulaye Gomis, aka Thielo, lors de son concert à la Sen’ Urban Fest le 6 décembre 2024, sur la scène de Canal 93. © France Volontaires
Pendant un an, Abdoulaye Gomis, alias Thielo, jeune artiste sénégalais, est passé des studios de Dakar aux coulisses de Canal 93, la salle de spectacle de Bobigny. En mission de volontariat de solidarité internationale, il a assuré la technique sonore des lieux tout en menant en parallèle un projet artistique personnel mêlant rap en wolof et influences jazz et afrobeat. On l’a suivi pendant toute la durée de sa mission, qui a pris la forme d’un tremplin scénique.
Chaque année, Canal 93, structure culturelle emblématique de Bobigny, propose une riche programmation aux habitants de la préfecture de la Seine-Saint-Denis et des alentours. En juin 2024, Abdoulaye Gomis, plus connu sous son nom de scène Thielo, débarque de Dakar avec dans ses valises bien plus qu’un savoir-faire technique : un univers musical riche, des textes intimes et engagés, et une soif d’apprendre.
Pendant un an, il a jonglé entre consoles de mixage et carnets de rimes, rencontres humaines et répétitions intensives. En tant que volontaire de solidarité internationale, il était chargé de la gestion du son lors des spectacles et des cours de musique, s’occupant de la partie technique sous la responsabilité de son tuteur Matthieu. Récit en trois actes de cette immersion artistique et citoyenne.
Acte I – Septembre 2024 : Le son avant les mots
Il est là, concentré, discret, mais s’activant, un micro dans une main et des câbles dans l’autre pendant que les familles de Bobigny déambulent entre les salles de Canal 93 pour les traditionnelles portes ouvertes de septembre. En ce jour de rentrée artistique, les professeurs de musique présentent leurs instruments et méthodes aux enfants. Dans l’ombre mais essentiel à la réussite de l’événement, Abdoulaye veille à ce que micros, enceintes et retours fonctionnent sans accroc. La mission est claire : faire en sorte que les démonstrations musicales se déroulent dans les meilleures conditions techniques. Mais très vite, ce rôle de technicien se double d’un dialogue inattendu. « J’ai vu tous ces professeurs jouer, improviser, vibrer… ça m’a donné envie de faire quelque chose avec eux », confie-t-il dans un sourire.
Dans le cadre de sa mission, Thielo (au fond) assure les réglages techniques pour la journée portes ouvertes de Canal 93. Au premier plan, Britto Jude, professeur de clavier. © France Volontaires
Car Thielo n’est pas qu’un volontaire : il est rappeur. Déjà à Dakar, il écrivait des textes en wolof, sa langue natale. Peu à peu, les discussions en régie laissent place aux sessions de répétition. Le courant passe : avec quelques musiciens de Canal 93 – eux-mêmes enseignants à l’école de musique – un groupe se forme, hybride et curieux. Ensemble, ils entament les premiers essais d’un projet inédit mêlant rap sénégalais, groove jazz et instrumentation live. Le volontariat prend une tournure inattendue : celle d’une collaboration artistique à part entière.
Acte II – Décembre 2024 : La scène comme horizon
La salle est pleine à craquer. Ce soir-là, Canal 93 accueille une soirée dédiée aux musiques africaines. Dans les loges, Thielo ajuste sa tenue – un pantalon de survet’ et un hoodie assorti gris-argenté – et délaisse pour une fois son éternelle casquette pour arborer d’élégantes tresses tirées en arrière. Sur scène, ses complices accordent leurs instruments. Le jeune Sénégalais va donner son premier concert en France, accompagné de ses compères musiciens. Quand les lumières s’éteignent, c’est un autre visage d’Abdoulaye qui apparaît : souriant, habité, sûr de lui. Le public découvre un artiste à l’identité forte, aux textes ciselés, aux refrains entêtants. Il rappe en wolof, parfois en français, parfois en anglais, toujours avec cette intensité qui accroche les regards et émoustille les oreilles.
Sur les sons issus de sa mixtape FIT (Fight Imposer Tekki), il parle de son parcours, de ses doutes, de sa volonté de se battre et d’avancer. La fusion avec les musiciens fonctionne à merveille. À la guitare, Faris tisse des nappes jazz, tandis que Baptiste, le percussionniste, donne du souffle et que Britto, au clavier, soutient les envolées lyriques. Pour Thielo, cette soirée marque un tournant : il n’est plus seulement volontaire en coulisses, il est désormais artiste à part entière sur la scène de Canal 93.
Acte III – Mai 2025 : L’exigence du détail
Quelques jours avant la fin de mission – Thielo rentrera à Dakar au début du mois de juin – la scène de Canal 93 est baignée d’un calme studieux. Pas de public, pas d’applaudissements, juste quelques proches en public : c’est l’heure du « filage », cette ultime répétition en conditions réelles pour peaufiner les derniers détails d’un spectacle. Face à lui, Jasmine Remadna, chorégraphe et coach scénique, observe chacun de ses mouvements. Elle note, corrige, propose. « Tu peux t’autoriser à occuper l’espace », souffle-t-elle. Thielo écoute, recommence, se déplace, module sa voix. Entre deux conseils, il avale une ou deux gorgées d’eau, concentré sur les enchaînements.
Le filage dure toute la journée, entre réglages sonores, transitions musicales et postures à ajuster. L’objectif : rendre le spectacle cohérent, fluide, puissant visuellement. Pour Thielo, cette étape est un révélateur : il comprend l’importance du corps, du regard, du silence. Il apprend à respirer entre deux phrases, à capter l’attention sans forcément rapper. « Jasmine m’a aidé à me dépasser. Elle a transformé ma prestation en véritable performance », explique-t-il. Cette exigence nouvelle donne une dimension supplémentaire à son projet. En ce printemps 2025, l’aventure touche à sa fin, mais l’élan est lancé. Car Thielo n’a pas dit son dernier mot : sa scène, désormais, est sans frontières.