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LE MAG’

Pisciculture paysanne : une autre voie pour le développement rural en Afrique 

28 Nov. 2025

Des parcelles d’alevinage à Ambalalava, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Tananarive (Madagascar).  © ADPRA

Longtemps négligée dans les politiques agricoles, l’exploitation des étangs occupe aujourd’hui une place nouvelle dans les stratégies de développement rural en Afrique. En s’appuyant sur une technicité accessible, sur des dynamiques sociales solides et sur l’appui de volontaires internationaux, la pisciculture paysanne s’impose comme un modèle économique viable. Une filière en construction, encore fragile, mais porteuse d’une transformation durable.

Dans de nombreux pays tropicaux humides, les étangs et zones marécageuses ont longtemps été considérés comme improductifs. Aujourd’hui, ces espaces deviennent des sites d’aménagement où les agriculteurs transforment l’eau stagnante en ressource économique. Pour Delphine Lethimonnier, directrice de l’Association Pisciculture et Développement Rural en Afrique tropicale humide (ADPRA), ce basculement repose sur un constat simple : « On identifie un potentiel important sur des surfaces non valorisées, avec la possibilité pour les agriculteurs de développer eux-mêmes des étangs productifs. »
Cette pratique agricole émergente n’a pas l’ancienneté des grandes cultures vivrières. Elle implique un apprentissage long, tant sur la gestion de l’eau que sur la reproduction des espèces, mais ouvre un champ de diversification précieux pour les exploitations modestes.

Comprendre la logique de la pisciculture paysanne

La démarche défendue par l’ONG consiste à accompagner les producteurs dans la maîtrise technique des étangs, du choix des espèces à la fertilisation organique issue des élevages de bétail voisins. Contrairement à la pisciculture intensive, elle repose sur des intrants limités, une faible dépendance aux aliments achetés et une gestion de l’eau adaptée aux cycles agricoles. « Ce n’est pas le même métier que la pêche. Nous travaillons d’abord avec des agriculteurs qui diversifient leur activité », insiste Delphine Lethimonnier. L’objectif n’est pas l’autoconsommation mais une production commercialisée, calibrée pour répondre aux marchés locaux, souvent demandeurs de poissons abordables.

 © ADPRA

Cette forme d’aquaculture nécessite une recherche permanente. Chaque territoire présente des contraintes hydrologiques, sociales ou environnementales différentes. Que ce soit au Bénin, à Madagascar ou en Guinée, l’APDRA teste ainsi des systèmes adaptés aux crues, aux sols instables ou aux variations de température. Dans certaines zones, les aménagements doivent même être conçus pour limiter les débordements liés aux pluies intenses.

Des volontaires internationaux pour soutenir la pisciculture paysanne

Les zones d’intervention sont choisies pour leur capacité à maintenir un niveau d’eau suffisant, mais aussi pour l’intérêt économique qu’un tel modèle peut représenter pour des familles rurales souvent fragiles. La pisciculture paysanne exige des travaux d’aménagement parfois importants, entièrement pris en charge par les producteurs. La logique sociale joue également un rôle central. Les étangs se développent souvent à l’échelle de hameaux ou de petits groupements d’entraide, où les travaux sont mutualisés. Ces réseaux facilitent la circulation des savoirs, la diffusion des pratiques et, dans certains cas, l’émergence spontanée de nouveaux producteurs.

« Ce n’est pas le même métier que la pêche. Nous travaillons d’abord avec des agriculteurs qui diversifient leur activité »

Delphine Lethimonnier, directrice d’ADPRA Agriculture paysanne

Au sein de cette dynamique, les volontaires internationaux se sont imposés comme des acteurs essentiels. Leurs missions combinent suivi-évaluation, organisation des données, compréhension des dynamiques villageoises et appui aux animateurs locaux. « Nous avons commencé à collaborer avec les volontaires du Progrès [note : l’ancien nom de France Volontaires] il y a des années de cela maintenant, car ils avaient souvent une réflexion différente de la nôtre et nous aidaient dans l’accompagnement stratégique », notre Delphine. La coopération se poursuit encore aujourd’hui.

Aurélie Lutz, en mission à Gagnoa, en Côte d’Ivoire, d’aout 2024 à septembre dernier, résume ainsi la diversité de son rôle de volontaire de solidarité internationale (VSI) : « Mes missions étaient très diversifiées : organisation des activités sur le terrain, suivi-évaluation, valorisation des actions menées, mais aussi appui au chef de projet pour la réflexion stratégique. » Plus qu’un simple soutien technique, cette présence permet de documenter finement les systèmes de production, d’enregistrer les évolutions saisonnières et de nourrir les choix méthodologiques de l’ONG.

Vers un modèle économique viable pour la pisciculture

L’immersion est souvent totale. « Je travaillais et vivais uniquement avec des locaux », explique celle qui a passé plus de 15 ans de carrière dans une coopérative agricole en France. Une dimension qui facilite la compréhension des pratiques, des hiérarchies sociales et des contraintes économiques quotidiennes. Ce regard extérieur, mais intégré, contribue à ajuster les outils d’accompagnement, à repérer les obstacles et à renforcer la cohérence des interventions.

La viabilité économique de la pisciculture paysanne repose sur une production destinée aux marchés proches, où la demande reste forte. Face aux poissons importés principalement d’Asie, et souvent moins chers, les étangs paysans ne peuvent tenir que si leurs coûts d’exploitation restent très faibles. C’est précisément l’avantage d’un système fondé sur la la main-d’œuvre familiale et une gestion de l’eau adaptée aux rythmes agricoles. Selon Delphine, l’enjeu est de maintenir un système accessible : « Le ticket d’entrée doit être abordable, et la rémunération réelle doit être pour les producteurs. »

La suite dépendra de la capacité des producteurs à s’organiser, de la continuité des appuis techniques locaux et de la stabilité des marchés. Aurélie, dont c’était la troisième mission entant que volontaire avec l’ADPRA, résume bien cette ouverture : « Il faut partir avec un grand esprit d’ouverture, et ne pas vouloir tout changer d’un coup. »

 © ADPRA

Bio express

À 44 ans, Aurélie Lutz s’est engagée dans un volontariat d’un peu plus d’un an à Gagnoa, en Côte d’Ivoire. D’août 2024 à septembre 2025, elle y a réalisé une mission de volontariat international en tant que coordinatrice technique, envoyée sur place par La Guilde, sa structure d’envoi, et accueillie sur place par l’ONG APDRA. Aurélie y a mis ses quinze années d’expérience professionnelle dans l’agriculture au service du développement de la pisciculture paysanne. C’était sa troisième mission avec l’ADPRA.
Aurélie Lutz
Volontaire de solidarité internationale

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